La mort est une béance que rien ne vient combler, si ce n’est précisément le langage de l’art, ou celui du sacré.
Dimitri Fagbohoun s’inquiète des traces, des mémoires, des filiations qui s’érigent contre le travail de la mort et de l’oubli. Le deuil, moment par excellence du rituel, lui donne l’occasion d’une oeuvre à la fois légère et grave : « Papa was a rolling stone ». Le dicton populaire dit aussi que ces pierres qui roulent n’amassent pas mousse. Mais ce père là inscrit sa marque dans la matière de l’art, installation, sculpture, vidéo, enfer et paradis, d’une originale façon. Loin de faire l’objet d’une mythologie idéalisante, la disparition du père est énoncée de façon dédramatisée, ni cri ni chuchotement, seulement un air ancien, une ritournelle, les images d’un temps obsolète.
L’empire d’un instant parcouru par le vide.
Quoi de plus banal pourtant que le départ des aïeux, d’un père ou d’une mère ?
Quoi de plus banal en même temps que cataclysmique, qui s’exhume hors de la répétition du quotidien mais qui y revient aussitôt ? Il était là l’instant d’avant, il n’est plus.
Où est-il, s’il est encore ?
Le combat de Jacob avec l’ange de la mort, le combat de l’homme pour façonner son monde, la matière, la vie ? Tout serait-il si simplement différencié ? La vie, la mort, l’être et le non être ? Tout devient trop simple et il n’existerait plus de question et plus d’art.
L’absence nous taraude, la tristesse aussi. Au delà de la vie et de la mort, ce rire infini ou cette infinie tristesse nous guettent, aux aguets de nos tremblements inquiets.
La conjuration de cette mort, ou du moins de la gravité qu’elle engendre, n’est-elle pas aussi la source du geste artistique ? Renouer avec ces grands principes de la création est peut-être en filigrane l‘intention qu’on perçoit dans la persistance de l’artiste Dimitri Fagbohoun à effleurer les motifs du drame, l’air de rien, presque sans y toucher.
Le masque, l’autre, le mort, le vif. La musique et le temps, le geste et l’image, le silence et l’absence : « Papa was a rolling stone », un air léger, pour une chanson grave.
Myriam Blin, sociologue et critique d’art Paris, le 10 juillet 2013